Frédéric Jacques Temple est mort à Aujarques, le 5 août 2020, à l’âge de 98 ans. De 1968 à 2004, il fut académicien de Montpellier (fauteuil n°5 de la Section des Lettres), puis académicien honoraire. Sa présence au sein de notre compagnie a été un honneur pour notre Académie. Au cours de séances académiques, il a présenté des écrivains anglais. En effet, il pratiquait la littérature anglo-saxonne de l'intérieur, par des traductions et des biographies. Cette passion s’est traduite par de véritables amitiés littéraires : Henry Miller, Richard Aldington, Lawrence Durrell... De même, il connaissait aussi intimement Joseph Delteil, Blaise Cendrars, Max Rouquette et bien d'autres.
Poète, il fut également un homme d’action. Patriote, il a participé avec courage en 1943-1945 à la libération de l’Italie et de la France, en dirigeant un char : pour essayer d’apaiser le traumatisme provoqué par la guerre, il a composé progressivement La Bataille de San Romano, hymne à la vie et à la paix, publié seulement en 1996. De nombreux poèmes, et notamment le recueil intitulé Poèmes de guerre, évoquent cette douloureuse aventure. Dans Merry-go-round, il nous parle aussi du Monte Cassino :
« J’avais vingt ans
avec encore dans mes oreilles
la sauvage accélération de la mort
haut très haut dans le ciel mauve
sur les clochetons d’or du Monte Cassino
et les cris de fin du monde »
Merry-go-round, Portraits
Pierre Bourgoin, créateur du Centre d’essai radiophonique de Montpellier, lui a permis de programmer à la radio, entre 1948 et 1954, un certain nombre d’émissions consacrées à la littérature, aux voyages et aux arts : Du monde entier au coeur du monde, Larguez les amarres, Carnet de poche. De 1954 à 1986, il a été directeur de la radio et de la télévision régionale. Parallèlement, il a participé à la conception et au tournage de plusieurs films à destination de la télévision : Chez Lawrence Durrell, L’itinéraire du Hussard (d’après Jean Giono), André Chamson ou La Terre promise, Jean Hugo ou un reflet de paradis, Alger au temps des Vraies Richesses (la librairie de l’éditeur Edmond Charlot).
Les œufs de sel édité en 1969 avait valu au poète sa première reconnaissance littéraire. Dès ce moment, Joseph Delteil avait reconnu la naissance d’une « âme nouvelle ». Son oeuvre poétique a été couronnée par de nombreuses distinctions, dont en 1990 le Prix Valéry Larbaud et en 2013 le Prix Apollinaire. En 1999, plusieurs de ses recueils ont été édités dans une Anthologie personnelle chez Actes Sud. Il était poète jusque dans ses romans : Les Eaux mortes, La Route de San Romano, Un Cimetière indien, Le Chant des limules. Très attaché à sa ville natale, il l'évoqua notamment dans son roman L'Enclos. Il a publié également deux intéressants livres de souvenirs - Beaucoup de jours et Une longue vague porteuse - ainsi qu'un important recueil d'articles consacrés à de nombreux écrivains et artistes Divagabondages.
Son écriture traduit une sensation visuelle et tactile de la vie. Dans une poésie lyrique, il recherche le paradis perdu de l’enfance et l’origine du monde, dont la limule est le symbole. Pour renouer avec une nature blessée, il célèbre les paysages et la mer. Dans son œuvre, il fait « voyage de tout » (Claude Leroy) :
« Je suis un arbre voyageur
Mes racines sont des amarres […]
Loin je suis près des origines
Quand je pars je ne laisse rien
Que je ne retrouve au retour. »
Arbre
« C’est par les veines de la terre que vient Dieu […]
Erigé dans la folle avoine
je le traque,
l’aurochs éternel
hérissé d’angons,
dont l’oeil béant m’invite
A la chasse infinie. »
La Chasse infinie
Fou d’Amérique, il a effectué deux grands séjours dans le Nouveau monde en 1960 et en 1980, sur les pas d’écrivains américains (James Fenimore Cooper, Henry David Thoreau, Walt Whitman, Henry Miller) et des indiens du Nouveau-Mexique. Écrivain des grands espaces, son ami Jean Carrière lui a donné fort justement le qualificatif de "poète américain". Amoureux de la nature, ouvert « au monde entier » comme Blaise Cendrars et toujours à la recherche du vrai Sud, Frédéric Jacques Temple n'a jamais séparé le bonheur de vivre et la joie d'écrire : « L’écrire n’est qu’une des formes de vivre… Pour écrire il faut vivre d’abord. Je ne suis pas un écrivain de laboratoire. Les poèmes ne sortent pas d’une éprouvette. Ils sortent de l’expérience de vie. » (La Route et le temps : film)
Il a vécu intensément et écrit des poèmes jusqu'à la fin de sa vie. C’est ainsi qu’ont été publiés en 2020 La Chasse infinie et autres poèmes dans la célèbre collection Poésie de Gallimard et Par le sextant du soleil aux Éditions Bruno Doucey. Le film expliquant son oeuvre, La Route et le temps, réalisé en 2013 par Daniel Martin et Oswald Da Cruz, a été diffusé sur France 3, le 5 août 2020. Par ses livres et par sa personnalité exceptionnelle, Frédéric Jacques Temple demeure bien vivant dans la mémoire et le cœur de sa famille, de ses amis et de ses lecteurs. Un fonds Temple conservé à la médiathèque centrale Émile Zola de Montpellier Méditerranée Métropole, déjà constitué de 6900 documents, permet d’étudier sa vie et son œuvre, de comprendre également ses affinités électives, littéraires et artistiques.
Gilles GUDIN de VALLERIN
Conservateur général honoraire des bibliothèques
Membre de l'Académie des Sciences et Lettres de Montpellier
Poème de FJ Temple lu au cours de ses obsèques
Requiem
Qu'ils reposent en paix
ceux qui longtemps
ont effeuillé l'arbre des jours.
Qu'ils reposent
dans le clair-obscur
de nos mémoires
de nos sommeils
de nos colères.
Nous savons qu'ils vivent encore
sur les ailes du vent d'autan
dans le parfum de l'iode
et la force du ciel.
Gloire au chant quotidien
de leurs voix en sourdine.
Périples, 2009.
Voir aussi page wikipédia :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Jacques_Temple
et un CV : http://www.m-e-l.fr/,ec,255